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7 septembre 2012 5 07 /09 /septembre /2012 15:22

Mon dernier coup de cœur est un recueil de nouvelles, un court roman, et à chaque page c’est le même enchantement!
L’Antarctique est le livre de Claire Keegan, paru en 1999, mais traduit de l'anglais (Irlande ) par Jacqueline Odin en 2010.
Quinze nouvelles, un véritable étourdissement, un recueil qui porte si bien son titre. Les femmes, dans ces textes, traversent une immensité froide, s'éloignent de leurs repères. Il y a quelque chose de redoutable, de rude et d'impérieux dans ces mots-là. Des portraits qui égratignent. Et pourtant, le ton, s'il est incisif, n'est pas à l'introspection. C'est l'intensité des scènes, effrayantes de précision pour le moindre détail, l'incertitude d'une attitude, ces secondes de temps flottant, une densité saisie et saisissante en instantanés à la fois pudiques et prosaïques.
On peut être surpris, dérangée parce que c'est parfois dérangeant, par la violence des sentiments suggérés, par la brutalité de certains mots. C'est un style épuré qui dit l'essentiel, qui évoque des moments choisis du quotidien, la même pointe qui touche au plus juste, une tension sensible.
«Il faut regarder le pire en face pour être paré contre tout.» L’univers de Claire Keegan apparaîtra à certains lecteurs nimbé d’espoir, alors que d’autres le trouveront sombre.
On peut tenir pour certain que l’auteur approuve les femmes de ses histoires lorsqu’elles font en sorte de se sentir vivantes. Elles apprennent à conduire en douce, répondent à une petite annonce, sortent de chez elles, quitte à prendre des risques. «L’Antarctique» (la première nouvelle, celle qui donne son titre au recueil) s’ouvre sur cette phrase : «Chaque fois que la femme heureuse en ménage partait, elle se demandait comment ce serait de coucher avec un autre homme.» Elle va bientôt le savoir...

Extraits :
" Une nuit de décembre constellée, les coups d'avertisseur des voitures. Ce serait bientôt Noël. La jeune fille a saisi la balustrade et regardé en bas. Un embouteillage de furieux taxis jaunes obstruait les carrefours des rues au-dessous d'elle. Elle a pris une inspiration. Elle s'est rappelée avoir lu quelque part que le vertige cache une attirance pour la chute. Soudain, ces mots ont eu pour elle une signification terrifiante. Si elle n'avait pas envisagé de sauter, se tenir au bord du vide ne lui aurait rien coûté. Elle s'est imaginée la chute, a imaginé la sensation qu'elle aurait, à plonger, à disparaître ainsi, être tout pendant quelques instants seulement, puis s'anéantir. Elle a imaginé le soulagement d'en avoir terminé avec l'existence; puis elle a reculé dans la pièce et fermé les portes au verrou. "
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" Les femmes de ma famille se rassemblent autour de moi dans la chambre, elles ont préparé du thé, tasses et soucoupes en porcelaine exhumées du buffet, cliquetis de vaisselle sur les plateaux. Ce sont de robustes bourgeoises campagnardes, qui aiment à penser qu'elles m'ont inculqué la différence entre le bien et le mal, les bonnes manières et les mérites du labeur. Des femmes capricieuses, au ventre plat, qui ont renoncé et appellent ça le bonheur. Nous venons de femmes qui réconfortent les hommes, des hommes qui ne disent jamais non. Aujourd'hui, elles remplissent leurs plus belles tasses, posent des questions sur mon avenir, demandent - Qu'est-ce que tu fais à présent ? - et - Qu'est-ce que tu vas faire à présent ? - , ce qui n'est pas exactement la même chose.
- Je vais écrire, dis-je. Un roman obscène, ai-je envie d'ajouter, un livre lubrique et paillard, à côté de quoi " Fanny Hill, la fille de joie " passera pour vos missels du dimanche. La vraie réponse, c'est que je n'en sais rien.
Ecrire est une drôle de profession, surtout à mon âge. Elles calculent mon âge mentalement, essaient de se rappeler ce qui a eu lieu vers l'époque de ma naissance, qui est mort. Elles ne sont pas très sûres, mais je ne suis plus toute jeune. Je devrais avoir d'autres projets à l'heure qu'il est, m'accrocher à un célibataire ayant un salaire régulier et une voiture convenable.
- " Toi et tes bouquins ! " disent-elles, secouant la tête, extrayant le meilleur des sachets de thé. "
Editeur : Sabine Wespieser

 
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commentaires

L
<br /> tu me le passeras? svp<br /> <br /> <br />  <br />
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